jeudi 16 juillet 2009

OBOK - 2006



Pochette du CD « Obok ». (...) = inaudible ou incompréhensible à l'écoute.

L'enfant soldat
Jardin des délices
Fauvette
Obok
Ne les réveillez pas
Chaînes
Pacte avec mon sang
Veux-tu ?
La voie royale


Manset est de retour. Finalement, on ne l'attendait pas de si tôt : il nous avait habitué à des escapades plus longues entre deux disques. Mais il est bien là, sur le pas de notre porte, en chair et en os – ces guitares tumultueuses, ces pianos à l'attaque franche et cette voix particulière – et le plaisir qu'on a à le retrouver est indéniable. Il n'a pas vraiment changé, évoque toujours ces paradis originels qui lui tiennent tant à cœur : l'enfance bien sûr mais aussi les ailleurs – Afrique, Asie, continents naguère préservés qui se délitent avec le temps. Grand écart permanent entre ces idéaux perdus et cette vie occidentale, teintée de gris ; "Fauvette", une adolescente fugueuse peinte dans ce décor de station-service d'autoroute, le poids de la réalité contre ce désir de découvrir, de fuir.

Manset est de retour. Et avec lui, ce bestiaire omniprésent, ce saxophone échappé de "Matrice", ces reggaes improbables qui se terminent en apocalypse salutaire, ces échafaudages miraculeux de guitares qui claquent et qui grondent, de batteries conquérantes et d'orgues somptueuses. "Le Jardin des Délices", "La Voie Royale", morceaux ambitieux dans la plus grande tradition, mais qui parviennent toujours à nous soulever comme une plume. Absentes remarquées cependant, les cordes que Manset sait pourtant si bien arranger ont été mises de côté sur ce disque ; on pourra le regretter mais cela n'enlève finalement pas grand chose à la complexité de ses compositions. Autre évolution qui prolonge cette fois "Le Langage Oublié", l'usage accru de la première personne et des expériences personnelles ; Manset remet sur le mur ce masque qu'il portait et apparaît même (de dos) sur la pochette : "Ne les réveillez pas", nocturne émouvant dont le piano inspiré de Chopin dégage presque autant d'émotion que la chanson "Quand on perd un ami" sur l'album précédent. Manset s'essaie même avec une certaine réussite à l'ironie dans "Pacte avec mon sang", relecture du mythe de Faust au milieu de guitares prêtes à bondir - chiens de garde en laisse, devant le rôdeur qui approche.

On retrouvera donc dans cet album la densité d'un bon album de Gérard Manset (à part peut-être "Veux-tu ?", que je trouve un peu plus faible) : les rouages sont bien huilés, la vapeur s'échappe de toute part, le curseur est en place : Manset est bien de retour.

Christophe Dufeu


Sylvain Fesson : Parlons donc d’ « Obok ». On sent que ce 18ème album s’inscrit dans la démarche poursuivie avec la publication du recueil de textes « 9 alternatives à Obok », à savoir que ses chansons sont elles-mêmes plus directes, plus humaines que celles de votre précédent disque, « Le langage oublié ».
Manset : Oui, c’était le but de l’opération. J’y suis parvenu car, sur le plan technique, j’ai géré autrement. J’ai été plus loin dans l’analogique et donc je retrouve un son des années 80 que je n’avais pas sur « Le langage oublié » et que je cherche depuis un certain nombre d’albums. Là, j’ai pu travailler avec la console analogique du Palais des Congrès et voilà, j’ai le son que je veux depuis au moins 10 ou 15 ans. Et puis, j’ai avec moi de superbes musiciens live, le batteur et le pianiste présents tout au long du disque. J’ai donc voulu tous ces sons très épais, très larges, très gras et par-dessus j’ai mis une voix qui, sur la plupart des titres, est analogique. Je l’ai elle aussi reprise dans les conditions des années 80. On obtient donc des chansons plus grasses, plus Neil Young, quoi.

S.F. : Plus « cul terreuse », si j’ose dire.
Manset : On est d’accord, on a quelque chose de plus campeur ou country et pas des chansons transparentes et creuses comme la plupart des sons d’aujourd’hui et comme ce son que j’avais regretté avoir sur « Le langage oublié ». Enfin… regretté : j’étais à 50% du son que je voulais avec « Le langage oublié ». On va dire qu’avec l’album d’avant, « Jadis et naguère », j’étais à 30% du son. Mais c’était immaîtrisable, hein, il n’y a pas un ingénieur qui aurait pu le maîtriser autrement. J’étais à 30% et j’ai réussi à le monter à 50 voire 60 % pour « Le langage oublié ». Et là, je suis à 95% comme pour « Matrice ». Celui-là, j’en suis satisfait. Les précédents, je l’étais moins. Je ne voudrais pas dire le contraire de ce qu’on disait tout à l’heure, mais d’un seul coup, là, le mec apparaît, il est dans l’album, voilà. Alors que ce soit moi ou pas moi, je n’en sais rien, mais au moins la voix existe. J’en avais marre d’avoir des voix qui étaient à 10% de mes possibilités. J’en avais marre !

S.F. : Pourquoi étiez-vous seulement à 10% de vos possibilités ?
Manset : Là, c’est totalement une question d’ordre technique. Aujourd’hui, quand vous prenez une photo en numérique, elle a beau avoir des millions de pixels, elle est à 3% de ce qu’on a en analogique, avec un argentique. Il faut le pratiquer pour le savoir, mais c’est comme ça. Et pour le son, c’est la même chose. En numérique, il y a une sorte d’épaisseur, de chaleur, de profondeur qui n’est pas là. C’est comme s’il n’y avait pas de couches. Comment dire ? Tout à l’heure, je parlais des différentes interprétations que les gens ont de mon univers, interprétations qui sont comme des couches qui s’additionnent les unes aux autres. Et bien contrairement au numérique, l’analogique tient compte de ces couches qui font la vie d’un homme. Celui qui avait fait « Animal on est mal » en 68, n’avait pas toutes ces couches. Il est évident que s’il n’y avait que deux albums, celui de 68 et celui d’aujourd’hui, on mesurerait à plein de petits détails qu’il y a bien eu une vie entre les deux. Entre l’analogique et le numérique, il y a cette différence, cette sorte de vie épaisse, chargée, qui tient d’ailleurs à des tas d’erreurs sur le plan acoustique, électronique. Le numérique est parfait, vrai et inintéressant alors que l’analogique est faux et tout à fait grandiose sur le plan de la création artistique.

S.F. : On a l’impression que le coté « cul terreux » d’ « Obok » est une réaction au coté «cathédrale » du « Langage oublié ».
Manset : C’est vrai.

S.F. : On est plus « ici, maintenant » ?
Manset : Oui, c’est ça. Et, étant donné que c’est moi qui fait tout, là on a de vrais moyens de comparaisons, qu’aucun artiste n’a ou ne peut avoir. Que ce soit Johnny, que ce soit Bashung, que ce soit qui l’on veut, il y a toujours des producteurs différents, des paroliers différents, des musiciens différents. Or chez moi, l’analyse est absolument parfaite car ce sont les mêmes composants. Donc c’est bien un traitement différent qui fait qu’on entend des choses différentes. J’aurais fait « Le langage oublié » aujourd’hui, il est évident que je n’aurais pas pris les mêmes chansons. J’aurais fait « A un jet de pierre » sur Obok, il aurait été monstrueux.

S.F. : Quand on s’était rencontré pour « Le langage oublié », vous m’aviez dit être très content d’ « A un jet de pierre ».
Manset : Ah oui, d’ailleurs il est très possible que je le refasse. Je ne sais pas pourquoi je n’y ai pas pensé avant mais voilà quelque chose qui pourrait m’amuser. Parce que maintenant, encore une fois, c’est strictement une histoire de matériel. Au Palais des Congrès, la console a été entièrement refaite et j’ai pu travailler avec alors que je n’avais pas pu pour « Le langage oublié », pour lequel j’avais eu une console beaucoup plus médiocre. Il n’y en a plus à Paris de très belles consoles de l’époque Pink Floyd et compagnie. Donc oui, il n’est pas impossible que j’aille passer une journée sur « Un jet de pierre » que j’aime beaucoup effectivement. Ah, il faudrait que je refasse quand même la batterie.
Enfin, ce n’est pas évident, elle sonnait bien tout de même. Donc il faudrait que je la repasse par la console, que je fasse une voix analogique, que je refasse une ou deux guitares et je me refais « Un jet de pierre », je le mets dans « Obok » et voilà il fait partie de la même histoire. Ah, partant de là, il y a quelques morceaux du « Langage oublié » qui pourraient faire partie de la même histoire. Il n’y en aurait pas beaucoup, mais il y aurait « A un jet de pierre », il y aurait « A quoi sert ? », qui serait très facile à remettre dedans. « Le langage oublié », non. Parce que c’est un thème trop long, trop barré, trop abstrait et trop épilogué. Ça fait partie de ces sortes de sagas que je fais parfois. Là, j’en ai voulu une. J’en avais deux, mais il n’en reste qu’une, c’est « Fauvette ». Mais je l’ai voulue saga folk. Donc forcément, ça ne me fait pas partir dans des délires.

S.F. : Oui, elle est un peu à part de l’album, comme l’était, je trouve, « Mensonge aux foules », le morceau reggae du « Langage oublié ». D’ailleurs, son texte est aussi plus explicite et frontal que les autres textes du disque comme l’était celui de « Mensonge aux foules ». Mais là le texte de « Fauvette » est un texte beaucoup plus long, dont la diction déborde carrément de la mélodie du morceau. A-t-il été dur à chanter ?
Manset : Pas du tout. Au contraire, comme il est musicalement top – volontairement cassé, mais très rimé – il y a une seule façon de le phraser et c’est de le phraser avec une sorte de sensation franchouillarde qui s’avère très jouissive pour moi. Je suis très content de ce texte parce que c’est quelque chose que quasiment personne ne sait faire ici. Là, pour une fois que je suis fier de quelque chose, je peux le dire.

S.F. : Ah… ça vous arrive d’être fier de vous !?
Manset : Je vous fais rigoler, mais c’est la vérité. Ce texte, c’est une sorte, peut-être pas de tour de force, mais de machine très compliquée à régler. Elle m’est tout de même venue instinctivement. J’ai coupé ensuite. J’en avais au moins quinze couplets!...

S.F. : « Fauvette », c’est le seul morceau de bravoure d’Obok?
Manset : Il y a aussi « Pacte avec mon sang ». Mais « Fauvette » est un titre, comment dire ? Cabrel aurait peut-être rêvé d’en avoir un comme ça, voilà. Quelqu’un comme Capdevielle à une certaine époque, il aurait pu me faire « Fauvette »…

S.F. : « Fauvette », est-ce morceau qui devait être rock et faire plus de sept minutes dont vous me parliez déjà à l’époque du « Langage oublié » ?
Manset : C’est possible, oui, parce qu’il était déjà fait. Il y a très peu de titres à moi que je prends plaisir à recréer in vivo, pour ne pas dire sur scène puisque je n’en fais pas, mais celui-là en fait partie. Chanter « Le langage oublié », ça m’emmerderait, je m’endormirais. Je l’adore, mais même quand je l’ai fait, ça m’emmerdait. C’est tellement lent et narratif. Quand on perd un ami aussi. Par contre, « A quoi sert ? », j’aime la rejouer.

S.F. : Malgré son aspect plus direct et folk, « Obok » contient tout de même quelques «titres lents et narratifs», notamment « Ne les réveillez pas ».
Manset : Alors celui-là, par contre, j’adorerais le faire live. Parce que là, il y a un texte qui n’arrête pas. Voilà : peut-être que le problème avec « Le langage oublié », c’est que moi-même je ne sais plus où j’en suis. J’exagère mais dans « Le langage oublié », on se dit : « Où il va ce mec ? Il était assis, le voilà qui se lève, etc. » Il se passe trop de choses si bien qu’on ne sait plus où l’on est. On a affaire à une sorte de très bel opéra, mais, voilà, on s’endort, comme dans l’opéra en général. On s’endort, bercé par la musique, mais on se fout de savoir ce que les mecs racontent. « Le langage oublié », c’est un peu ça. Tandis que « Ne les réveillez pas », non. D’abord, il y a moins de mélodie. Le texte est presque dit. C’est récitatif. Donc on a envie de le redire. « Ils sont dans leur sommeil comme de petits œufs / simples abeilles…» Les mots tombent tous les uns après les autres, boum, boum.

S.F. : La mélodie de piano m’évoque vaguement un célèbre morceau de musique classique.
Manset : C’est « La sonate au clair de lune » de Beethoven. J’avais besoin de cette cadence qu’a « La sonate au clair de lune ». Et d’un piano parce que c’est quand même le seul instrument qui soit un orchestre en soi.

S.F. : Quand vous avez écrit le texte les mots sont tout naturellement venus sur cette cadence ?
Manset : Non, parce que je l’ai faite à la guitare.

S.F. : Ah, oui, c’est vrai que vous parlez de la genèse de ce morceau dans « 9 alternatives à Obok ». Il vous vient alors que vous rentrez d’une soirée entre amis, chez qui vous avez été émerveillé de voir les enfants dormir bien au chaud dans leur chambre.
Manset : Oui, donc c’était à la guitare. Je l’avais en tête dans le taxi. Mais ce côté lancinant, répétitif et ce côté coup de marteau, il n’y a que le piano qui peut le donner. (Il chante le rythme répétitif du piano en tapant du poing sur la table.)

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L’enfant soldat

Enrôlé de force
Quelques coups de crosse
Sur un visage d'enfant
C'est comme un fruit qui se fend

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'interdira
Vivant dans son trou comme un rat
Mais que rien n'interdira

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Nouveau Tchernobyl
De bave et de bile
Mais à nos portes qui se presse
Le chloroforme et la compresse

Dans la jungle pire encore
Mais que rien n'empêchera
Vivant dans son trou comme un rat
Vivant comme un enfant soldat

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Kilomètre 20
Ils étaient bien vingt
Les cheveux rouges comme de l'étoupe
Avec la machette, le coupe-coupe

Je l'ai posé près de la route
Et c'est cette eau sale qu'il a bue
Cadavres de chiens, de zébus
C'est cette eau sale qu'il a bue

Car j'ai vu son visage
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture des villes
Dans le delta et la mangrove
Et la pourriture

Une chaleur atroce
Le ciel qui se teinte en gris
Enrôlé de force
De Lagos à Conakry

Quelques coups de crosse
Ces lèvres noires qui me sourient
Dures comme de l'écorce
De Lagos à Conakry

Dans la jungle pire encore
Car j'ai vu son visage

Jardin des délices

Quand le monde autour de toi aura tant changé
Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger
Seront toutes si lourdes à bouger
Seront toutes des objets étrangers

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec ses fleurs grimpantes
Sa lumière en pente
Couleur de dragée ?

Quand le monde autour de toi sera mélangé
Que le drap de ta chambre dans l'ombre restera plongé
Que viendra la nuit aux pourpres orangés
Et sans rien de plus peut-être pour te protéger

Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger
Avec sa glycine
Comme une racine
Dans la terre plongée ?

Dans la terre plongée

Jardin des délices
Tourne comme une hélice
Dans le fond du crâne
Tourne comme une hélice

Fauvette

Elle avait pas dormi depuis plus de trois jours
Une petite fauvette aux yeux peints
Avec des bagues aux doigts, une jupe de daim
Avec un blouson de satin

Elle est partie dans le fond téléphoner
A on ne sait qui
On l’a vue qui pleurait
Et puis se recoiffer comme une furie
Se moucher dans sa manche

Quelqu’un devait l’attendre dehors mais il neigeait
Elle a rabattu sa capuche, écrasé sa cigarette
Laissé quelques pièces de monnaie
Ramassé comme un petit Donald en peluche
Ramassé comme un petit Donald en peluche

J’en aurais pas parlé si ce n’était pas un dimanche
Avec ce qu’on peut pleurer pour les hommes
Les petits, les moches, les grands, les têtes de pioche
Et ceux qui parlent jamais à personne
Et ceux qui parlent jamais à personne

Quand j’ai vu qu’ils la suivaient
Qu’ils la mangeaient des yeux
La petite fauvette en parka
La petite fauvette

Elle avait pas du dormir depuis pas mal de temps
Comme une alouette blessée
Parce qu’il faut dire qu’il y a pas souvent de printemps
Dans les rues de sa cité

Il y avait un sapin de Noël planté
Un peu plus loin sur le parking
Et les loupiotes qui semblaient lui dire : va t’amuser
Avant que la vie te tombe dessus

Je les aie vus qui marchaient
Dans cette neige fondue vers un camion
Et lui qui la tenait comme ça dans la nuit
Comme si elle avait bu
Qu’elle avait les jambes en coton
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit
Qu’il fallait qu’elle dorme dans un vrai lit

Si je parle de ça, c’est que je me suis souvent demandé depuis
Ce que j’aurais pu faire de plus
Sinon l’asseoir de force et lui faire cracher son mal de vivre
Personne aurait jamais su
Personne aurait jamais su

Laissez nous comprendre pourquoi tout est ainsi
Escrocs et malfaisants

On en ramasse comme ça
Tous les automnes, tous les hivers
Les ongles encore accrochés
Sur quelques lambeaux de mystère

Pourquoi s’était-elle enfuie de toute la chaleur
Que peuvent donner une mère, une soeur
Un père absent, violent,
Qui peut-être même avait tout brisé
Quand même laissé du bonheur
Quand même laissé du bonheur

Et la dinde, à plus d’heure
Quand j’ai voulu m’en retourner
Tout ça m’était sorti de la tête
Comme toutes ces choses
Qu’on n’a jamais fini de ressasser
Alors le jour s’est levé
Alors le jour s’est levé

Comme un chacal en manque d’amour
Qui lève une charogne
Et vient prendre la place de la nuit
Tous les arbres étaient blancs
Oh sûr, pas comme au temps des cigognes
Au dessus de toutes ces flaques de cambouis
Au dessus de toutes ces flaques

A chacun son démon tapi qui peut sortir de l’ombre
Voilà la seule chose que je me suis dit
Vers un ailleurs indéfini aux portes du hasard
J’ai vu la vallée dans le brouillard
J’ai vu la vallée
Vers un ailleurs indéfini
Aux portes du hasard
J’ai vu la vallée

Obok

Je ne suis pas de chez vous
Vous n’êtes pas de chez moi
Mais comme on se fait tatou
Je me retourne quelquefois
Comme je vais sans vous

On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Moi, je l’ai portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Je ne suis pas de chez vous
De vos soldes, de vos marabouts
(…) dans les (…)
(…) ce siècle qui bout
Comme une marmite de fer
Un potage sans goût
On se retourne tout à coup
Comme on voudrait fendre du bois
Mettre le feu à tout
Comme je l’ai mis, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés

De la colline de St Cloud
Je me retourne quelques fois
Le bateau va sans mat
Comme je vais sans vous
On peut tendre mille fois la joue
Fendre son manteau
On peut porter sa croix
Comme je l’aie portée, voyez-vous
De (…) à (…)
J’en garde quelques coups
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés
Plantés

Ne les réveillez pas

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits œufs
Comme de jeunes abeilles
De simples arbrisseaux
Poussant près des fontaines
D’où naissent toutes les eaux
Toutes rivières idem
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Un ongle de mica
Et la lèvre vermeille
Tandis qu’au dessus d’eux
Une forme attentive
Songe aux instants d’avant
Où elle était pareille
Elle était semblable
Objet sous une table
Haute comme une chaise
Petit meuble bancal
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir
S’endormir comme ça

Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Comme de petits soldats
Raisins sur une treille
Qu’on ne cueillera pas
Au milieu des vallons
Et des vallées sans nombre
Regardez-les dans l’ombre
De jouets insignifiants
Dans la chambre lilas
Ils sont dans leur sommeil
Ne le réveillez pas

J’ai refermé la porte
De ce monde-ci
Afin que rien ne sorte
Comme d’un petit enclos
Au flan d’une colline
Où les choses poussent
(…) ouvrir bientôt
Une toison rousse
Lorsque l’automne est là
Ne les réveillez pas
Ils sont dans leur sommeil
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages
S’endormir
S’endormir

J’ai refermé la porte
Ne me demandez pas
Si cette chambre existe
Si elle n’existe pas
Comme une place forte
Tandis que j’ai marché
Dans la chambre lilas
Ne les réveillez pas
Le reste est sans objet
Ne les réveillez pas

Ce songe est indolore
Qui conduit là-bas
On en a vu des équipages

Chaînes

Otez-moi ces chaînes que je vois la ville
Que je connaisse encore ces reines de beauté
Qui défilaient la nuit sur des chars allumés
Tandis que des capsules de bramas éventés
Jonchaient le macadam dans l’asphalte incrusté
Comme autant de médailles qui les auraient tentés
Comme autant de médailles
Otez-moi ces chaînes que je vois la ville

Otez-moi ces chaînes
Que je redonne goût
A ce que je goûte
Que je vois la chenille
Au dessus de (…)
(…)
De ce monde tout à côté
Et les millions de familles
Se glisser

Otez-moi ces chaînes que je vois les eaux
Que je connaisse encore la mer démontée
Où je me suis baigné dans les docks et les ports
Couvert de (…) aux lèvres ciselés
Comme l’or des incas que l’on voit ruisseler
Jusqu’au (…) que l’on voit ruisseler
Otez-moi ces chaînes que je connaisse encore

Otez-moi ces chaînes que je les vois danser
Ces reines de la nuit sur leurs chars entrelacés
Couvertes de pierres et de rubis et de satin moiré
(…) ils se soulèvent dans le jour va monter
(…) ils soulèvent dans le jour

Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Otez-moi ces chaînes que je les vois qui se promènent
Dans le jour qui se lève, qui s’est déjà levé
Dans le jour qui se lève

Pacte avec mon sang

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Qui vivent, qui dorment et qui mangent
Ne se sont pas aimés jusqu’au Gange
Depuis l’antiquité
Moi-même elle vient de me quitter

Alors il s’est assis
C’était comme ça, c’était ainsi
On était frère depuis quelques heures
C’est là qu’il a sorti ses outils

Il a dit : veux-tu la richesse
Etre connu jusqu’au Gwanshee
Au lieu de ta purée de détresse
De tes mains pleines de cambouis ?

Je vois son visage enfin
Avec deux crochets pour les mains
Des trous à la place des yeux

Je me suis vu dans le miroir
J’ai dit : je veux la fortune et la gloire
Ici, demain ou maintenant
Il a dit : signe, en me tenant

D’aucun éternel passant
Je serai Jules Vernes ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
Pacte signé avec mon sang

On a du parler toute la nuit
Puis voilà le jour qui luit
Je vois son visage enfin
Mi vagabond mi musicien

Priez pour notre salut
C’est le parchemin qu’il m’a lu

C’était un soir d’orage
Il a frappé à ma fenêtre
Je venais d’écrire quelques pages
Sur le destin de tous les êtres

Je serai Jules Verne ou Maupassant
C’est un pacte avec mon sang
C’est un pacte

Veux-tu ?

Veux-tu que je te couvre les épaules
Veux-tu que je t’allonge ou veux-tu que je t’aide
Veux-tu que nous fassions quelques pas au soleil
Ou bien à l’ombre, pour moi tout est pareil
Dans la demeure qui fut la notre

J’allume ou bien j’éteins, veux-tu l’obscurité
Que je me tienne encore à tes côtés
Ou bien fermer les yeux, veux-tu que je me taise
N’entendre que Chopin, Mazurka Polonaise
Dans la demeure qui fut la notre
Dix mille saisons et puis
Dix mille saisons et puis

Veux-tu que je t’entrouvre la fenêtre
Que tu sentes l’odeur que le printemps fait naître
Dans la demeure qui fut la notre

Et j’ai posé mes yeux dans un coin du plafond
Et j’ai touché sa joue froide comme une feuille
Et le jour était là comme un enfant recueille
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons
Un coupe d’oisillons

La voie royale

C’est un bâtiment gris
Au pied du Pnom
Lorsqu’on y va la nuit
On croit frôler les ombres
Et plus loin vers le fleuve
Quelques enfants
Saramani bien sûr
Que l’on vient voir aussi
Que l’on vient voir de prés

Même si l’on s’ennuie
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine
Mais tout ne l’est-il pas
Mais tout ne l’est-il pas

Où l’on vend des moineaux
Dans des cages d’osier
Que pour quelques riels
On verra s’échapper
S’envoler vers le ciel
Alors on pense à ça
Alors on pense à lui
Que tout était comme ça
On n’a pas changé depuis
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea
Jusqu’à ce temple en ruine

Saramani m’a dit
Que comme il le voulait
D’être enterré ici
Une princesse charme
Vous le connaissez
Comme on connaît ici
Ce que personne ne sait
Ce que personne n’a dit
Alors on pense à lui
C’était là qu’il était
Comme un Naja
Dans le bassin
Où il nagea

Dans le bassin
Où il nagea

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